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Mario Tchou et le premier ordinateur italien
Chaque année, Silicium rend hommage à un personnage de l'histoire de l'informatique ou du jeu vidéo. Pour 2023, nous avons choisi Mario Tchou et le projet du premier ordinateur italien.
Nous célébrons la courte vie d'un ingénieur qui a laissé une profonde empreinte chez Olivetti en quelques années seulement.
Italie-USA
Mario Tchou-Wang-Li est né à Rome le 26 juin 1924, fils de Yin et Evelyn Wang. Yin Tchou, grâce à sa connaissance de l'italien, avait obtenu en 1918 un poste à l'ambassade de Chine à Rome auprès du Vatican. Les parents se marient en 1921 et trois enfants naissent. Ils suivront le cursus de l'éducation des jeunes romains. Ils parlent indifféremment italien et chinois, fréquentent les lieux de la jeunesse romaine, mais restent attachés à leurs origines chinoises. Mario gardera d’ailleurs son passeport taiwanais.
Très jeune, il est attentif à l’innovation et montre de l'intérêt pour les sciences et les rapports humains. Après la guerre, il est encouragé par son père pour partir aux États-Unis. En 1947, il obtient un diplôme d'ingénieur en électricité à l'Université catholique de Washington. Il continue ses études et obtient en 1949 une maîtrise en physique nucléaire au Brooklyn Polytechnic Institute. Il enseigne ensuite au Manhattan College puis devient professeur agrégé de génie électrique à l'Université de Columbia en 1952.
Mario Tchou souriant, mais sérieux pour prendre la pose (crédit photo : inconnu, origine web)
OLIVETTI
En août 1954, Adriano Olivetti rencontre Mario Tchou à New-York au siège d’Olivetti Corporation of America. La firme italienne voit dans le développement de l'électronique un futur évident. En 1952, un laboratoire de recherche électronique est créé près de New-York à New Canaan dans le Connecticut.
Adriano recrute alors Mario, avec la proposition de retourner en Italie en 1954 pour développer un ordinateur électronique commercial. En 1955, Olivetti adhère au projet de calculatrice scientifique CEP (Calculator Elettronica Pisana) de l'Université de Pise qui est poussé par Enrico Fermi. Un accord prévoit le détachement annuel de deux ingénieurs et deux techniciens. Tchou est ainsi affecté à l'Université de Pise avant de créer pour Olivetti le LRE (Laboratoire de Recherche Électronique). Il recrute de nombreux jeunes de moins de 30 ans pour travailler dans ce domaine balbutiant.
Fin 1955, le laboratoire compte 25 employés puis 50 deux ans plus tard. En ajoutant la production, il n'y a pas moins de 700 employés à la fin de 1961.
ELEA
Mario commence à travailler sur l’Olivetti ELEA (Elaboratore Elettronico Aritmetico), le plus grand supercalculateur à transistors de l'époque, construit à 40 unités.
Tchou a le soutien d'Adriano Olivetti, de son fils Roberto et de certains responsables sensibles à cette technologie naissante. La grande masse de l'entreprise ignore jusqu'à l'existence d’un tel projet.
Dès lors, il s'agit de donner à tous des signes tangibles de ces travaux. Tchou confie à Pier Giorgio Perotto (1930-2002, le futur créateur de la Programma 101) la tâche de développer un convertisseur de données des bandes perforées des machines comptables mécaniques vers des cartes perforées pour l’ELEA. Cela donnera naissance en 1959 au CBS (Card Band Converter) et au CBN (Magnetic Tape Band Converter).
En parallèle, un prototype du nouvel ordinateur est mis au point à l'automne 1957. C’est l’ELEA 9001 ou « machine zéro ».
En 1958, l’ELEA 9002 dispose d’électrovannes (ou « machine 1V »). Le transistor fait son apparition et bouleverse la création de ces ordinateurs. L’ELEA 9003 sort en novembre 1959. La machine est construite autour d’une structure logique conçue par Giorgio Sacerdoti (1925-2005) et d’un design original dû à Ettore Sottsass (1917-2007).
Tchou reste lucide sur cet ordinateur innovant mais limité. Cela n'empêche pas Olivetti de livrer la première ELEA 9003 en septembre 1960 au groupe textile Marzotto. Durant les 4 à 5 années qui suivent, une quarantaine d’ELEA 9003 est vendue. Pour faire évoluer l’offre, Tchou initie le projet d'un calculateur plus petit et moins coûteux : l’ELEA 6001 de 1961.
L’ELEA se programme en FORTRAN, mais il n’est pas au niveau des versions américaines. Fin 1961, le mathématicien Mauro Pacelli réalise une nouvelle architecture technique et une version améliorée du langage en quelques mois. La dynamique technologique et commerciale est excellente.
Le matin du 9 novembre 1961, Tchou quitte Milan pour se rendre au siège d’Olivetti à Ivrea. Sur l'autoroute près de la localité de Santhià, la Buick Special Skylark dans laquelle il voyage entre en collision avec une camionnette. Il n'y a pas d'échappatoire pour Tchou et son chauffeur.
C’est un coup très dur pour Olivetti. La firme rencontre à cette époque des problèmes financiers délicats. Son charismatique dirigeant Adriano Olivetti est mort en février 1960. Ces évènements annoncent la fin du projet ELEA et clôturent une ère importante pour l'électronique italienne.
En 1962, la création de la division Olivetti Electronics, composée de toutes les opérations de l'entreprise dans le domaine électronique, n'a pas eu les effets escomptés et en 1964 Olivetti cède le contrôle de la division à l’américain General Electric. Certains y ont vu un complot industriel et financier, visant à affaiblir l'Italie à travers Olivetti et à rendre service aux Américains. En 2013, Carlo de Benedetti, président de l’entreprise de 1978 à 1996, déclare dans une émission de radio : « Olivetti était convaincu qu'il avait été tué par les services secrets américains ».
Une maquette de l'ELEA 9003. Ces maquettes étaient courantes à l'époque pour la création des salles machines (crédit photo : inconnu, origine web)
L'innovant pupitre signé Sottsass dont on voit le clavier (crédit photo : inconnu, origine web, musée de la science et de la technologie de Milano)
Vision industrielle
Mario Tchou est le symbole d’une vision technologique moderne des années 50 et 60. Il a très vite compris l’émergence de l’électronique dans un monde où la mécanique régnait encore. Il considérait l'Italie qualitativement « au même niveau que les pays les plus avancés dans le domaine des machines à calculer électroniques. Cependant, les autres constructeurs reçoivent une aide énorme de l'État. Les États-Unis allouent les plus importants budgets aux recherches électroniques, notamment à des fins militaires. La Grande-Bretagne dépense également des millions de livres. L'effort privé et modeste d'Olivetti est remarquable. Mais les constructeurs anglosaxons ont un avenir plus sûr : ils sont aidés par l'État ».
Pour aller plus loin, découvrez l'histoire d'Olivetti à travers ses machines.
L'accident de Mario Tchou le 27/02/1960 paru dans la Stampa
Hier matin, alors qu'il pleuvait, au pont de chemin de fer près de Santhià Un cadre d'OIivetti et
son chauffeur sont morts dans une collision avec un camion sur l'autoroute.
L'une des victimes est l'ingénieur Mario Tchou de Milan, fils d'un Chinois en Italie.
Il se dirigeait vers Ivrea avec une Buick conduite par un employé de son département.
La puissante voiture a dérapé sur le viaduc, peut-être à cause de l'asphalte glissant.
Puis elle s'est écrasée violemment contre un camion à Bergame.
(crédit photo : inconnu, origine web)
Buick Special Skylark 1961
Un hors-sujet qui intéressera tous les amateurs de belles américaines.
La Buick Special Skylark modèle 1961 est mise sur le marché à l'automne 1960. La voiture de Mario était donc flambant neuve. En bonne General Motors, elle partage une bonne partie de la carrosserie et du moteur avec les Pontiac Tempest et Oldsmobile F-85.
Buick Special Skylark (photo : Charles01 et licence CC-BY-SA 3.0)
Ce modèle est une luxueuse berline deux portes parfois baptisée coupé. Mais elle reste une américaine bien massive de 4,90 m de long et de 1,2 tonne. Son bloc est un V8 3,5 L (215 cu.in.) à double carburateurs de 135 chevaux. La boite automatique est une 3 vitesses. Un gros veau assoiffé selon les standards d'aujourd'hui, mais d'une très belle ligne.
Les ceintures de sécurité étaient optionnelles et ce n'est pas sûr que Mario et Francesco en ait eu.
Le logo de l'ELEA 9000 doit probablement vouloir montrer un maillage de son architecture
Sir Clive Sinclair était à l’honneur en 2022. Il cède sa place à Mario Tchou en 2023. Adhérez à Silicium et recevez votre diplôme Supermario !